La transmission de l'aïkido à travers Shumeikan et le stage de haut niveau

12.01.2016
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Comment définir la transmission d’un savoir ? Voilà la véritable question que l’on peut se poser. En effet comment transmettre un BUDO d’origine japonaise à des occidentaux. Pour comprendre cette difficulté il convient d’envisager l’enseignement à la japonaise.

Combien de fois n’ai-je entendu dire sur le tatami qu’il fallait « voler la technique ». Il s’agirait donc de voir, d’observer suffisamment attentivement pour voir ce que l’on ne voit pas (casse-tête chinois pour un occidental).

Afin d’éclaircir les choses je me référerai au livre que nous a laissé Tamura senseï « Etiquette et transmission ». Dans cet ouvrage Tamura senseï définissait la transmission de l’Aïkido comme l’établissement d’une relation de parents à enfants prenant toujours soin de montrer l’exemple sans forcément l’expliciter mais le rendant sans cesse plus lisible pour que le pratiquant ait de plus en plus envie d’approfondir le chemin (DO).

Les occidentaux sont issus d’un enseignement pythagoricien, puis de mathématicien tel Descartes qui exige que tout raisonnement doit être décortiqué et démontré aboutissant à une démarche pédagogique fractionnée faisant appel à l’intellect.

L’enseignement japonais quant à lui coupe avec l’intellect pour renouer avec l’instinct. Sa démarche passe par un travail incessant du corps aboutissant à l’exacerbation des sens et donc au développement de tous les ressentis.

On aboutit à un enseignement globalisé qui demande à voir l’ensemble de la technique du début à la fin de la réalisation de celle-ci.

Tamura senseï au stage de haut niveau des 19 et 20 avril 2008 avait insisté sur une calligraphie au centre du Dojo signifiant « MasaKatsu », le Kanji « Masa » prend ici le sens de vérité et « Katsu » celui de gagner. Nous pouvons alors donner tout son sens à cette calligraphie qui est de « gagner la vérité par soi-même ». En ce sens Senseï proposait à chacun de se changer en profondeur ce qui est une démarche japonaise par excellence et qui consiste à rechercher la perfection à chaque instant y compris dans les gestes les plus simples de la vie courante.

On aboutit donc à un apprentissage par mimétisme comme l’apprenti qui répète inlassablement les gestes de son instructeur jusqu’à les polir et les intégrer jusqu’à ce qu’ils fassent partie de lui-même. Comme tout bon adolescent, cette étape sera suivie immanquablement par l’exploration d’autres chemins qui pourront être parfois opposés à la voie initiale, pour enfin aboutir à l’acquisition de sa propre forme de corps retrouvant la voie originelle ainsi que le moi originel. Il va sans dire que ce chemin peut prendre des années, mais seul le chemin parcouru compte et seul ce chemin peut former parfois un maitre.

Senseï pensait que l’enseignement de masse ne permettait pas une transmission en profondeur et l’un des outils dont il s’est servi est Shumeikan Dojo. Ce lieu lui a permis de continuer l’approfondissement de l’Aïkido et de dispenser son enseignement, dans la continuité de ce que O ’Senseï Morihei Ushiba lui avait légué.

Essayons de comprendre le sens profond de l’idéogramme Shumeikan. Il signifie le « palais où s’établit la lumière » faisant allusion à la cosmogénèse shintô. Il est composé des kanji Shu, Mei et Kan.

Shu exprime le passage du chaos primordial au cosmos, d’un univers en gestation à l’univers ordonné et régit par ses propres lois. D’un point de vue Shintô, Shu correspond à la fondation du japon par Izanagi et Izanami qui agitent une lance dans l’Océan primitif.

Mei exprime la lumière et la connaissance qui ne peuvent exister que lorsque l’ordre cosmique est établi, la vie et la mort séparées et que la lumière illumine le monde, ce qui correspond à l’action d’Amaterasu O Mi Kami.

Kan enfin signifie à l’origine donner ou recevoir le logement.

Shumeikan fut donc le nom choisi par Tamura Shihan pour son Dojo situé à Bras. Le symbolisme de ce terme construit à partir des idéogrammes Shu Ri Ko Sei et de Ko Ka Meï Sho nous rappelle l’exigence permanente de travail sur nous-mêmes par l’Aïkido.

Tamura Senseï voulait donc un lieu qui accueillerait les pratiquants désireux d’approfondir leurs connaissances au contact du Maitre. Ce Dojo ne pouvait recevoir qu’une quarantaine de personnes et les cours débutaient par le nettoyage du Dojo, acte par lequel le pratiquant se nettoie lui-même (Misogi) et devient apte à recevoir un enseignement. Les cours étaient suivis d’un repas où chacun apportait sa contribution que ce soit au repas ou aux tâches ménagères et durant ces échanges Tamura Senseï apportait la réponse aux questions que se posaient les pratiquants telles les réponses bienveillantes d’un père à ses enfants. Non pas de façon explicite mais souvent en ouvrant de nouvelles perspectives à explorer par soi-même.

Cela représentait des moments privilégiés où la transmission se faisait de façon plus intime hors du tatami et de la pratique. Durant ces moments conviviaux les barrières tombaient et la transmission se faisait tout de même, mais de façon moins conventionnelle quoique toujours empreinte de respect.
Durant la pratique Senseï parlait peu et ne comprenait pas que l’on puisse parler alors que le pratiquant qu’il soit Tori ou bien Aïte font une même pratique. Tori et Aïte sont les deux faces d’une même pratique. Aïte en restant dans un mouvement continu même si le rythme est adapté à chacun devient le miroir de Tori.

Il convenait d’être attentif aux démonstrations et de répéter les mouvements en s’attachant aux ressentis. Combien de fois n’ai-je entendu qu’il fallait mouiller le Keiko Ghi avant de commencer à saisir le sens de la technique et au-delà celui de l’Aïkido.

Enfin afin de bien comprendre le sens de la démarche de Tamura Senseï et de comprendre ce que représentait la transmission d’un savoir il faut aborder le stage de haut niveau.
Ce stage s’adresse aux élèves Yondan depuis au moins quatre années, à ce niveau techniquement avancé où l’on commence à entrevoir les principes qui régissent les techniques et où il devient possible de remplacer occasionnellement le professeur.

Toutefois Tamura Senseï avait voulu que ce stage se déroule sur quatre à cinq jours afin que les élèves soient en immersion totale dans un groupe et cela motivé par une lettre exprimant les raisons et l’intérêt de participer à cette formation. Il ne s’agit pas là d’évaluer une pratique mais de voir un début de changement en profondeur du pratiquant l’amenant à faire table rase de tout ce qu’il sait, d’abandonner ses certitudes afin de pouvoir recevoir un nouvel enseignement le guidant plus en profondeur sur la voie.

Tamura Senseï insistait sur le fait que l’on provoquait soi-même les blocages, les oppositions en utilisant trop de force et que la majorité des problèmes viennent d’abord de notre incapacité à nous changer nous-même. Il insistait sur le fait d’abandonner la force, de créer le vide, en rendant notre technique correcte nous devenions nous-même correct.

Ce stage implique que le pratiquant doit s’intégrer au groupe afin de donner que ce soit sur le tatamis ou bien dans les autres tâches tels que le service, les repas le nettoyage du Dojo et de Shumeikan comme si c’était sa propre famille ou sa propre maison en cela le pratiquant doit comprendre qu’il doit se trouver plus investi dans sa pratique vis-à-vis de lui-même et des autres.

Aujourd’hui Tamura Senseï nous a laissé la lourde tâche de continuer à transmettre l’Aïkido tel qu’il l’avait reçu de O‘Senseï Morihei Ushiba.

Le professeur quel que soit son niveau doit transmettre avec bienveillance, il doit monter l’exemple afin que les élèves ne se perdent pas, mais il se doit de se remettre sans cesse en question afin qu’il devienne un catalyseur révélant à l’élève ses capacités et sa véritable nature, lui donnant sans cesse l’envie d’aller au-delà de lui-même et de poursuivre le chemin.

La véritable « Transmission » puise ses racines dans le passé par l’accomplissement du Reishiki qui est constitué par l’étiquette et règles qui régissent la vie dans le Dojo aboutissant à Reisigaho qui représente l’extension à la vie courante et exprime la politesse du cœur.

Elle s’enrichit dans le présent par la mise en application de la manière la plus proche possible dont elle nous été transmise avec application et sincérité.

Elle se tourne enfin vers l’avenir impliquant le devoir de transmettre à nouveau dans un cycle perpétuel le savoir-faire qui nous a été « donné ».

Tamura Senseï disait que Rei représentait l’Alpha et l’Omega de la pratique de l’Aïkido et donc de la transmission.

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